Le précieux pantin de bois

•´¯`•. ℓ€ ρяéȼɨ€µж ρąɲţɨɲ ď€ β๏ɨ$ .•´¯`•

#lodeurvenantdusoupirail

#probablementencoretrufféderreursdetempsougrammaire

#dedicacespecialeaMathieuletrublionaugrandcoeur

                                                Dans un petit village devenu ville,
au sein d’un pays s’industrialisant davantage chaque jour,
au coin d’une ruelle du vieux centre bien moins fréquentée depuis quelques années,
vivait un vieil artisan dans sa petite boutique de jouets … traditionnels… d’antan diraient certains…
De nuit, du soupirail de l’arrière de cette boutique émanait une odeur de vieux vernis un peu âcre… On y entendait régulièrement cliquetis, martèlements, petits coups de scies et de limes répétés des heures durant… ponctués par quelques soupirs jusqu’à ce qu’à la nuit bien avancée, les lumières s’éteignent et le calme revienne, tout juste perturbé par les seuls couinements de quelques rongeurs, râles de rares chats errants alentours, ou encore le ruissellement d’une bouche d’égouts proche.  

Ce vénérable et passionné artisan,
chaque matin que la vie citadine lui ‘offrait’ encore,
ouvrait le rideau de sa précieuse et néanmoins de plus en plus vétuste échoppe,
dédiée à ravir petits et grands enfants… d’un temps qu’il réalisait avec grande peine de plus en plus dépassé…

A ses débuts, il connut un succès certain, l’engouement de nombreux gavroches aux regards pétillants et l’enthousiasme partagé de tant de familles de bon goût.
Les affaires allaient très bien !
Mais au fil des années, à la mesure d’une modernité galopante, de l’expansion du village en petit bourg puis en ville grandissante… la fréquentation de son commerce avait décliné progressivement…

Chaque matin néanmoins, il s’efforçait de garder le sourire, le souvenir de ses années fastes, lorsqu’il ouvrait la porte aux merveilles ludiques passées dont il avait le secret.
L’intérêt de ses jouets d’une qualité certes remarquable, s’était à son âge avancé, hélas fané aux yeux de la plupart des gamins de cette époque haletante.

En entrant dans sa boutique, accueillis par un parquet grinçant, les visiteurs hélas devenus bien plus curieux qu’acheteurs, pouvaient admirer la scène d’une pièce de taille modeste achalandée avec passion :

Au sol étaient posés chevaux à bascules, grandes boîtes à cubes de bois, dinettes, tabourets et petites tables de dessins ou lecture.
Sur les tables étaient étalés trains et wagonnets de bois, puzzles, caisse enregistreuse,  balances, coffrets de perles à enfiler en colliers, quelques assortiments de fruits et légumes de bois, ainsi que jeux de dames, échecs ou petits chevaux.
Sur les étagères de chaque côté trônaient une petite collection de poupées de cire et leurs multiples accessoires, habillées comme dans les vieux films.
Dans sa seule vitrine centrale s’affichaient tout un choix de bilboquets, yoyo, jeux d’osselets, billes et boules de bois, sifflets, dominos et plus encore.
C’est enfin au dessus de tout cela qu’était toutefois suspendue sa plus grande fierté :
une petite collection de pantins de bois d’une facture tout à fait exceptionnelle, sa spécialité d’artiste du bois depuis tant et tant d’années.
Particulièrement solides, aux articulations souples, ils étaient brillamment lustrés, patinés par la passion avec patience, arborant tous un sourire indéfectible tel celui de l’artisan au moment où il les façonnait. 
Ils furent son plus grand succès historique, si bien qu’il n’avait cessé de les parfaire.

Hélas, sa clientèle n’avait cessé de décroître, vampirisée par la toute nouvelle zone commerciale aux milles et une envies et besoins créés par les artifices d’une promotion superficielle et trompeuse à ses yeux.   
Ces séduisants espaces mercantiles de prodigalité était plus accessibles que le vieux centre, offraient plus de choix et nouveautés, proposaient des prix plus attractifs même…  pour tant de jeux, jouets et plaisirs éphémères qui ne duraient jamais bien longtemps … d’une fiabilité et longévité savamment étudiées par rentabilité et non passion se disait-il à raison…

Ni sa grande gentillesse, ni la fidélité de sa clientèle devenue bien trop rare, ni ses marges plus basses que jamais ne purent l’aider à remonter la pente.
Sa caisse ne se remplissait plus.
Pire encore, un jour maudit, dans son appartement à l’étage de la boutique elle-même surplombant son atelier aménagé dans la cave, il se fit cambrioler.
Sa demeure à l’écart de la nouvelle ville active ne lui accorda hélas pas la chance d’un quelconque soutien voisin en l’heure tardive du cuisant méfait. Lui, seul et sans défense significative, s’était fait dérober le peu d’argent qu’il lui restait, qu’il avait pu garder de côté en se serrant la ceinture toutes ses dernières années, dans le petit coffret de bois finement ouvragé reposant sur sa table de nuit.
Heureusement sauf de sa personne… il se rendit en vélo auprès des services de l’ordre locaux pour y faire déposition… en vain…  
Lui qui ne faisait confiance qu’en si peu de choses ‘immatérielles’, n’avait jamais souscrit ni assurance ni ouvert de compte en banque, services par conviction trop coûteux pour lui …

Pour survivre, jour après jour, il dût brader aux plus offrants, pour une bouchée de pain…pour survivre… les précieux jouets qu’il avait mis tant de minutie à fabriquer et de temps à garder… Quelques semaines plus tard… il ne lui resta plus qu’un seul jouet, l’un de ses si précieux pantins, le plus abouti d’entre tous…

N’ayant d’autre choix pour survivre à nouveau, il dut se résoudre, crève coeur des plus atroces pour lui, à vendre… sa boutique… sa demeure… son atelier… de toujours…

Si peu de clients cherchaient à investir dans ces lieux oubliés de la majorité, qu’un seul finit par lui faire une proposition néanmoins bien en dessous de ce que l’artisan désoeuvré espérait encore…
Un ancien client à lui justement…  qui par nostalgie… conditionna l’achat vital et contraint pour le vieil artisan, par le don en sus de ce beau pantin qui lui restait, que l’acheteur pensait offrir à son petit-fils.

Le vieil et si malheureux commerçant, sans le sous, n’eut d’autre choix que de s’y résoudre à contre cœur… oh oui…  il eut l’impression… .. . d’y laisser… son vrai cœur… sa vie… 

Toute sa vie en ses lieux… qu’il allait perdre… et même son précieux pantin… le plus beau de tous ses jouets… confectionné avec tout son amour, sa passion et son savoir accumulé une vie durant…  Il était un peu… comme son fils… mais… sur le caprice de son seul acheteur… seul… sauveur ? …  Peut-être qu’au moins … son pantin pourrait donner le sourire à un autre… un nouvel enfant… que ce gosse fortuné puisse en bénéficier, le garder sa vie durant, en faire don à ses propres enfants à son tour en son temps…  

S’accrochant à cette bien mince idée, réunissant dans un balluchon l’argent pesant de sa ruine artisanale, et les rares affaires qu’il lui restait, il prit son vélo et s’en alla de la ville…  vers la campagne…
Où ? il ne le savait pas encore… le cœur si lourd… l’esprit si vidé…

Une semaine plus tard, à l’occasion de l’anniversaire de son petit-fils, le repreneur de la bâtisse crut donc lui faire plaisir avec le si beau pantin de bois de si bonne facture comme… on en fait désormais plus… Un cadeau unique se disait il.
Ainsi, il l’emballa, et lors du repas de célébration organisé par sa fille pour la neuvième année de son fils, il lui remit en même temps que deux autres paquets.
Entre une console, des cartes à jouer en vogue à la récré de son école de quartier, et le néanmoins merveilleux pantin de bois… l’attention de l’enfant ne se porta quasiment pas sur ce dernier à l’étonnement dépassé de son grand-père…

– “Ah… ses enfants…  Il comprendra certainement plus tard…” … .. .

Le lendemain, la mère et son fils de 9 ans et 1 jour s’en allèrent chez des amis.
Dans la voiture, ils chargèrent quelques affaires, mais aussi la console et les jeux de cartes plébiscités par l’enfant.
– “ Oh ! Mon garçon, tu as oublié le beau pantin que t’a offert ton papi ! ”
“ Pars donc le chercher ! ”
La mère finissant d’apprêter la voiture, l’enfant rentra dans la maison, non convaincu, pour chercher le pantin.
A la porte de la maison avant de sortir, levant le pantin à ses yeux pour l’examiner, le tournant…
– “ Mouais… c’est qu’un pauv’ pantin quoi… “
“ Qu’est ce que j’peux en faire ?!” s’interrogea mollement le galopin…

– “ Allons, tu peux monter dans la voiture, nous y allons ! ” s’exclama la mère préoccupée par les préparatifs.

Elle alla fermer porte et portail de la maison, avant de rejoindre la voiture et son volant.
Elle démarra. La voiture déboitant, s’élançant dans la grande rue … laissa derrière elle… sur le trottoir.. le pantin de bois que le môme de peu d’imagination, avait laissé choir ici tant il n’y portait d’intérêt… .. .

Plusieurs passants curieux le remarquèrent sur la chaussée, mais bien d’autres non, le piétinèrent. Certains garnements se défoulèrent même à grands coups de pieds dans le pantin. Un passant, bien plus respectueux, se baissa pour le ramasser et le déposa sur le rebord de la fenêtre la plus proche.  Quel dommage, un si beau pantin…

Plus tard, la fenêtre s’ouvra et le fragile équilibre dans lequel était le pantin le décrocha du rebord sur le coup.
Un chien passant par là en quête de marquage décida que le pantin gisant là sur le sol ferait un objet honorable pour son urine si unique…
Le pantin se déplaça encore malgré lui sous les coups de pieds d’autres indélicats, profitant allègrement des gaz d’échappements environnants, bénéficiant à l’occasion de l’eau de lavage crasseuse balancée par dessus le pavillon de l’une ou l’autre maison…

La nuit tomba sur la ville sauvage et impitoyable pour les inadaptés…
Un vent rigoureux se faisait sentir, un chat profitant de l’obscurité vint tester de ses griffes acérées la dureté du vernis du pantin découvrant la vraie vie hors de son échoppe de toujours.

Nulle fée ne vint lui donner vie…   

Au petit matin, une fine bruine pénétrante et glaçante vint l’accueillir et lui ouvrir la vue sur la rue à nouveau de ses deux yeux ronds finement gravés.

Dans la matinée, une jeune fille qui passa par là accompagné de sa maman s’en empara.
Sa maman lui intima sans attendre de le relâcher, de ne pas toucher à tout ce qui traînait dans la rue…   L’enfant obtempéra, déçue toutefois.

Une demi-heure plus tard, un jeune adolescent prévenant allant en cours l’aperçut à son tour, s’arrêta pour le ramasser et l’examiner. Il n’y avait pas à dire, il était de très bonne facture !
Et même après avoir passé quelque temps dehors, honoré par la faune locale, taquiné par la populace si … joueuse…  il demeurait encore dans un état particulièrement bon.

Remarquable ce pantin certes, mais … il sentait déjà … urine, échappements et eaux usées… Alors dégoûté, il l’envoya valdinguer dans une propriété avoisinante.
A l’atterrissage, le pantin fit un bruit sec de claquement de bois, mais résista bien.

Attiré par le bruit et l’odeur, un autre canidé s’en approcha, le renifla, grogna, lui donna quelques coups de pattes, puis l’attrapa à plein dent, le croquant, le secouant énergiquement de gauche à droite, animal…
Vraiment solide, le pantin de bois de l’artisan passionné résista étonnamment bien encore une fois. Il demeura quasi intact si ce n’est certaines traces de morsures très superficielles sur son beau teint lustré et huilé. Le quadrupède emmena avec lui son nouveau joujou quelques rues plus loin, mais lassé et à la vue d’un chat à l’allure provocatrice, il le lâcha devant une descente de garage.

Plus tard , quand sa propriétaire rentra justement chez elle dans sa belle berline rutilante, empruntant la descente, elle roula sur le pantin sans l’avoir vu. L’une de ses articulations, cette fois-ci, ne résista plus. Son patinage fut même sérieusement entamé sous le poids de cette lourde mécanique bien plus moderne que lui.

Alertée par le bruit, la conductrice descendit un peu inquiète de son véhicule. Apercevant le pantin endommagé au sol, elle s’interrogea mais souffla…
Qui l’avait laissé là ? MMmmhhh…  mieux valait le faire disparaître…
Le pantin finit aux ordures.
A la décharge, traînait par là un clochard qui l’en sortit, sans son bras perdu dans le tas d’immondices. Ce si beau pantin qui avait été si minutieusement ouvragé… Quel dommage il eût été qu’il soit perdu à jamais…
Le désoeuvré le serra contre lui, content de sa découverte, décida toutefois vite de passer voir un ami circonstanciel qui collectionnerait potentiellement ce genre d’objet…
Il lui demanda sans détours s’il était intéressé, mais… faisant la moue, ce dernier lui en proposa une telle misère que le pauvre hère refusa et repartit avec son beau pantin.
Il serait rien que pour lui… Il lui rappelait vaguement son enfance… Une certaine nostalgie…
Le jour déclinant, fatigué, suant et sale, le chômeur sans toit alla s’asseoir dans son coin de terrain vague non loin. Il s’empara d’une bouteille de vinasse qu’il commença à téter avidement tout en admirant Son pantin. Une deuxième bouteille plus tard, éméché, puis rond comme une soucoupe, il fut pris d’un hoquet persistant, la tête lui tournant, malade comme assez souvent, il lâcha alors le pantin, toussa, pesta. ET beuaarrkk, il vomit, … sur son nouveau compagnon partiellement désarticulé.
Confus puis écoeuré, il pesta encore, et dans un ultime mouvement avant de sombrer dans le sommeil éthylique, il balança le pantin au loin.

L’infortuné être mécanique atterri dans une grande flaque boueuse d’une eau saumâtre.
Un passant, distraitement, jeta un mégot qui finit de s’éteindre sur le pantin…

Dans cette eau de perdition, l’inerte de bois façonné, si robuste soit-il, commença à accuser le coup, ses articulations à rouiller, son bois dur sous le vernis écaillé à s’imprégner de l’humide turpitude de cette réalité inadaptée pour lui… fruit de la bienveillance et du savoir faire de son artisan et père dans l’âme… ce pauvre commerçant perdu dans cette nouvelle civilisation décadente…

-= Espérant qu’un homme bien sache reconnaître la juste valeur de ce pantin de si bonne facture, pensé par l’homme pour l’homme, et le sortir de la fange  =-

P.S. : le pantin a un défaut de fabrication, mais le vendeur l’a bien camouflé dans son sourire éternel.
Toute ressemblance à la vie de ce pauvre pantin ou de son artisan avec celle d’un humain contemporain ne serait pas forcément complètement … fortuite… 

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :