Le rêve étrange d’un gaijin profane…

#japon #rêverie #sérénité 


Imaginé en un pays d’Asie de l’est, aux abords de l’océan Pacifique, insulaire…

Aux abords de villes agitées, clignotantes, crépitantes, animées d’une folie effrénée de consommation…

La rupture… autre monde…

Un petit village paisible, comme il ne doit guère plus en exister…


Par la pensée il y entre, franchissant un pont de bois sacré, tentant de chasser en lui ses vieux démons… 


Passant humblement sous un tori massif sous la bienveillance des esprits…

S’efforçant toujours de préserver ses vertus trop souvent mises à rudes épreuves…

Dans ce village inconnu, en lui même il ressent qu’il doit se rendre.

Il s’y aventure empli de curiosité, en quête d’apaisement…

C’est dans une rue de terre battue et gravillons bordée de Tsumari, modestes demeures de bois, qu’il entre et avance …

Cette rue le mène à un divin temple shintoïste.

Ses pensées vagabondent… tant de kamis à honorer… il n’en est pas digne… pas encore…

Il ne s’y attarde pas, rejoignant plus loin, après un moulin à aube s’abreuvant à une généreuse rivière traversant le village, une maison de commerce proposant un saké de qualité à en juger par l’écriteau…

mmmhhhhh… tentation… source d’oubli… dont… il… se… d…é…t..o..u..r.n.e…

Il poursuit sa marche dans la douce clarté naissante de ce jour printanier…

…vers une allée de cerisiers en fleurs… tant de blancheur … naturelle, presque éthérée…

….chemin émerveillant menant à … un jardin… étonnant par son calme…
… hors du temps… hors des préoccupations incessantes et matérielles, de l’aliénation capitaliste humaine…

Ouvert de coeur et d’esprit, il observe ce qui l’entoure :

Bassins agrémentés de nénuphars en fleurs, entourés de roseaux épars tendant vers le ciel…

Chemins étroits de pierres plates ordonnées au gré d’une botanique harmonieuse aux fragrances subtiles,

Statues tant impressionnantes au premier regard, qu’apaisantes avec la perception patiente du sage…

Ici et là triangles, carrés et ronds de sable tracés avec goût et méticuleusement ratissés.

En leur sein, de noueux bonzaïs fantaisistes savamment taillés avec inspiration et constance.

Jardin contrasté mêlant le chaos apparent d’une végétation sauvage, à la régularité de structures de bois parsemées d’une flore calibrée …

Le bruit de l’eau s’écoule d’une fontaine généreuse…

Un telle quiétude… rythmée par le bruit d’un shishi-odoshi, culbuteur de bambou frappant inlassablement un rocher sous le flux de l’eau …

Un temps reculé ou présent ? ….

En ce lieu, il ne semble pas y avoir de temporalité…

…songes… rêveries…

..

.

…Il se déchausse, se défait de ses atours les plus superflus…

..

.

A la fantaisie de ce jardin d’exception, il se promène…

… pied nu … ressent le sol, sa nature, son relief, sa température, son humidité…


… respirant…. il hume les parfums floraux, inspire un air de sérénité, inhale le fond de l’air humide,

légèrement boisé …  


… observant … les volumes de ce lieu… sa structure… le vert des feuilles… le blanc des roches… le brun des écorces… le pastel des fleurs choisies…

… s’apprêtant à goûter une baie … un bruit parvient à son oreille … un froissement textile présumé… se retournant, découvrant à l’ombre d’un majestueux arbre séculaire…

….une dame d’âge mûr au visage d’un blanc immaculé cueillant quelques feuilles…

Ses longs cheveux d’un noir de jais sont rabattus en arrière sur son front et sur les côtés de son visage, attachés par des peignes, se rejoignant en un grand chignon épinglé de fleurs bleues.

Elle le remarque du coin de l’œil.

Jusqu’alors impassible, elle se redresse dans son ample kimono aux motifs floraux traditionnels, rectiligne, tombant jusqu’à ses chevilles.

Se tournant vers lui, elle l’observe, marque un instant d’hésitation…

Il demeure muet comme une carpe… un peu gêné… fuyant son regard inquisiteur…

La dame en kimono finit par lui adresser un sourire tout juste esquissé,

d’un geste balançant des bras l’invitant à la suivre…

… un kami passe …

Il lui retourne un rictus maladroit, lui l’étranger au milieu de ce jardin… privé ?…

Elle arbore alors un sourire plus marqué, quelque peu amusé peut être,

l’enjoignant à nouveau à la rejoindre…

Sans trop y réfléchir davantage, il s’approche d’elle, toujours en silence…

Elle emprunte un sentier dérobé, bordé de haies d’aucubas dont les couleurs vives contrastent avec l’ombre environnante.

Il lui emboîte le pas sur une allée ponctuée par des pas en ardoises espacés, comme flottants, sur lesquels elle marche avec légèreté…

Un peu plus loin, un petit bosquet d’érables comportant de surprenantes variétés qu’il n’a jamais connu jusqu’alors, qu’elle traverse avec aisance, leste malgré son kimono en apparence si rigide,…

De l’autre côté, tous deux aboutissent sur un petit pavillon de bois et tissus, austère Chashitsu, devant lequel elle s’accroupit.

Dans une cache insoupçonné sous une marche, elle met la main pour en tirer un long parchemin, écrit d’une calligraphie enluminée dont elle fait la lecture à voix basse, susurrant des mots aux intonations nombreuses et surprenantes qu’il ne comprend pas mais dont il apprécie les suaves sonorités.

Ce kakejiku comporte un dessin de scène printanière mis en encre dans un style d’une beauté à la fois sobre et expressive.

Une fois lecture faite, un temps de silence… elle l’enroule à nouveau, se relève…

Une brise légère vient caresser les feuillages alentours, et agiter quelques mèches de son hôte …

Elle entre en silence dans le pavillon de bois en écartant une porte coulissante …

Lui, réservé, n’ose pas s’avancer…

…Une minute s’écoule…

Elle revient par la même porte, dépose très humblement un kimono à son attention sur le bord du pavillon extérieur, lui adressant un sourire d’invitation, se retourne, puis entre à nouveau dans le Chashitsu,

Hésitant, particulièrement dévêtit tant moralement que physiquement en cet instant, il s’approche du kimono… lui aussi est fleuri, peut être plus masculin dans les couleurs et les formes… dans un style toujours printanier …

Après un regard environnant, il enfile non sans difficulté le kimono.

Une autre minute plus tard, elle le rejoint à nouveau, l’observant, ne pouvant retenir un autre sourire mêlant satisfaction et moquerie gentillette en observant son accoutrement.

Elle aide par quelques mouvements rapides son invité à ajuster son kimono.

Sans mot dire, elle lui fait signe de bien vouloir se déchausser et de la suivre.

… un papillon, Grand pourpre, virevolte entre eux et se pose sur son épaule…

Elle marche jusqu’à l’entrée du Chashitsu puis s’accroupit en descendant lentement sur ses genoux.

Après un nouveau temps d’hésitation, il fait de même, peu habitué à porter un tel kimono, un certain poids, des mouvements en sensation plus limités le temps probable d’apprivoiser sa nouvelle tenue…

Son hôte franchit le seuil de la pièce toujours accroupie, salue le tokonoma, alcôve dans une légère pénombre éclaircie par un rayon de lumière irisé mettant en évidence une peinture raffinée, un paysage semblable au jardin qu’il vient de traverser…

Elle rejoint alors, se déplaçant toujours agenouillée, par de petits mouvements feutrés, le foyer de cette vaste pièce ornée de quelques calligraphies soignées sur ses murs.

Lui, s’efforce de faire de même, n’ayant certes pas la grâce de la maîtresse de ces lieux… instable, parfois manquant de chanceler… Il vient s’agenouiller face à elle.

Entre eux… un service à thé comme il n’en a jamais vu, harmonieuse céramique patinée … des instruments singuliers pour un profane tel que lui…

Elle prend à sa ceinture un linge de soie, qu’elle oriente dans chaque sens, déplie, fait flotter, puis replie…

Avec ce tissu devenu précieux, elle effleure doucement, plus ardemment, puis vivement, frotte… comme… purifiant… une petite marmite, une théière, deux bols et jattes, et trois instruments, les uns après les autres, avec la plus grande minutie…

Dans un petit foyer central crépitent quelques braises qu’elle vient probablement d’attiser avant qu’il ne rentre… elle y dépose la petite marmite de fonte.

Dans une petite jatte elle dépose une à une, délicatement, quelques feuilles d’un thé vert paraissant d’une grande préciosité tant elle prend son temps pour les manipuler avec grâce.

Elle lève au ciel la jatte à moitié remplie, de ses deux mains, l’observant un moment… impassible… comme une prière adressée…

A l’aide d’une spatule elle arrose d’eau, goutte à goutte les feuilles, les lavant avec une méticulosité exceptionnelle.

Une fois assainies… Elle en verse l’eau dans une autre jatte plus petite encore…

Lui l’observe toujours sans mot dire, curieux, attentif, en proie à une sérénité nouvelle s’insinuant en lui au spectacle d’une telle cérémonie…

Elle dépose la jatte au sol, se saisit avec précaution d’un petit fouet de bambou, avec lequel elle se met, avec le plus grand soin, à écraser les feuilles… mouvements lents, prenant le temps de bien travailler les feuilles, tournant, vrillant, séparant, toujours avec un contrôle gestuel impressionnant…

De longues minutes, des instants … privilégiés ? … qu’est ce qui aurait pu les presser ? … pourquoi ne pas se prendre le temps…

Elle poursuit le travail des feuilles toujours et encore, consciencieusement, jusqu’à ce qu’elles ne soient que poudre verte…

La marmite en fonte irradie alors la douce chaleur du foyer de braises, prête à accueillir et chauffer l’eau si précieuse à la vie…

Elle déposa le fouet pour se saisir avec précaution d’une petite louche de bambou finement ouvragée qu’elle plonge dans un seau d’eau claire, qu’elle ressort, remplie, pour la déverser, sans en perdre une goutte, dans la marmite.

Elle répète ainsi une quinzaine de fois, toujours par des mouvements réguliers, ce va et vient calibré entre seau et petite marmite…

Son invité absorbé, est comme hypnotisé par un tel manège…

Au début impatient… il se laisse à présent aller à ne faire que ressentir, à relâcher le temps… gagnant en quiétude…

Une fois la petite marmite suffisamment remplie à sa convenance, elle dépose à nouveau la petite louche… Elle approche alors les bols, prend à nouveau la jatte de feuilles broyées, dont elle saupoudre le contenu vert avec la plus grande délicatesse, lentement, alternativement dans un bol puis dans l’autre, par l’intermédiaire d’un humble tamis.

Toujours assise sur ses talons, en seiza, elle dépose les rares résidus filtrés par le tamis dans une petit bol à l’écart.

Le bruit à peine perceptible d’un bouillonnement de la marmite se fait entendre.

Elle la retire alors du feu en s’y penchant révérencieusement.

De la terre au ciel sa tête, son regard… s’élève … prière… le temps pour l’eau du thé de cesser son bouillonnement et un peu plus…

Elle emprunte à nouveau la spatule, louche de bambou, pour l’y plonger dans la marmite d’eau à température élevée précisément… l’élève puis en déverse le contenu dans un bol…

Le bruit de l’eau qui s’écoule, vient heurter le bol, chawan, puis l’eau s’y trouvant, le bruit évoluant à mesure qu’il se remplit… une forme de plénitude pour qui se concentre suffisamment dans ces circonstances propices…

Elle renouvelle le geste autant de fois que nécessaire afin que chaque bol soit généreusement rempli… que l’eau chaude couvre amplement le thé broyé, poudre de matcha…

Elle marque ostensiblement une pause, le temps d’une pensée soutenue…

Le vent extérieur faire chanter le bois du pavillon…

L’odeur du thé embaume déjà dans l’air…

Leur respiration est devenue tellement lente…

Il sent en lui comme un éveil de sa conscience de la vie, de son environnement, son entourage… méditation …

L’hôte si sereine reprend le fouet en main, qu’elle plonge dans un bol, et par des mouvement lents, puis s’accélérant de plus en plus mais toujours avec la maîtrise de l’expérience, fait naître une mousse délicate et verte à la surface du thé, eau et air s’y mêlant exaltant remarquablement le parfum du thé.

Elle tend le bol à son invité, sa main droite maintient le bol tandis que sa main gauche soutient celui-ci avec sa paume.

Baissant la tête, levant le bol en signe de respect et humilité envers son invité…

Il l’accepte avec le sourire, lui retournant sa marque de respect, s’inclinant davantage encore…

Elle procède ensuite de même pour son propre bol…

Il contemple cet art zen qu’il ne connaissait pas, fasciné, respectueux du savoir faire de son hôte.

Leur thé préparé avec tant de cérémonie est enfin prêt pour tous deux.

Une attente pour lui, une cérémonie pour elle, un temps pris pour… se recueillir… se préparer à … méditer… mériter… la dégustation de ce thé de caractère… ce thé divin… qu’elle brandit tel un trésor, faisant tourner dans sa main le bol pour pouvoir en admirer toutes les faces…

Lui, apprenant, faisant de même… tranquillité…

Ils font le vide dans leur esprit mais le plein dans leur cœur…

Ils approchent leur chawan de leurs lèvres… qu’ils osent tout juste humecter… sensation exacerbée de chaleur, la texture du bois, le parfum du thé…
…Puis ils se laissent aller à en prendre une gorgée… quelle gorgée… ce thé si fort… pénétrant… de leurs lèvres, à leur palais, leur langue, leur gorge… cette vague de chaleur si parfumée en eux… frisson…

Il prend une grande inspiration…

Son cœur apaisé, reconnaissant, appréciant le seul moment présent…

Il en savoure chaque instant…

Par la pensée…

Soyez-lui, ce gaijin profane à présent initié…

Ou elle, son hôte si raffinée …

Apaisez-vous…

Retrouvez le contrôle de vos pensées, recentrez vous à nouveau…

Appréciez…

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